La Silicon Valley russe : un projet cohérent pour la Russie ?

En février 2010 Dmitri Medvedev a annoncé son intention de créer un vaste centre d’innovation, pierre angulaire de la nouvelle politique économique et prototype des cités de l’avenir. Contrairement aux idées reçues, la Russie ne compte donc pas vivre éternellement sur sa rente gazière et pétrolière. En effet, le Centre de recherche et de développement de Skolkovo s’articule autour de cinq pôles spécifiques de la recherche de pointe et de l’innovation : technologies de l’information, biotechnologies, énergie, espace spatial et aéronautique, nucléaire.

Skolkovo est un centre d’innovation dont la mission est de créer les conditions idéales permettant aux entrepreneurs comme aux chercheurs et aux scientifiques de se consacrer à la conception, la réalisation et le développement de projets d’avenir liés aux nouvelles technologies. Actuellement, le projet Skolkovo est composé de cinq pôles de compétitivité, cependant les initiateurs de la fondation veulent en faire une plateforme technologique encore plus grande qui attirera autant les investisseurs que les chercheurs. Plusieurs accords de coopération ont déjà été signés avec de grosses sociétés comme Boeing, Intel, Cisco, Nokia, IBM, General Electric, EADS, Siemens etc.

En revanche, le talon d’Achille de ce projet est son financement, qui est dans sa quasi-totalité assuré par le gouvernement russe. Cette situation financière peut laisser sceptique en ce qui concerne sa compétitivité sur le marché mondial. Néanmoins, les initiateurs de la fondation Skolkovo restent persuadés du potentiel de l’opération, car « très prochainement, la participation de l’Etat doit tomber à 50% pour progressivement s’effacer entièrement et laisser la place à des investisseurs extérieurs » (https://fr.rbth.com/articles/2011/11/14/skolkovo_la_silicon_valley_russe_12941). 

Malgré certains problèmes, le centre d’innovation Skolkovo bourdonne d’idées. Fidèles au cliché, les Russes sont capables de mener à bien des projets incroyables avec des moyens limités, amputés ou même détournés. 

En effet, le projet Skolkovo semble être fortement critiqué. La principale critique concerne sa déconnexion du reste de l’environnement économique existant en Russie. Par conséquent, pour avoir le meilleur environnement possible, il faut investir beaucoup, notamment en associant les meilleurs experts internationaux. « Il en résulte un fort ressentiment de la part des structures traditionnelles d’innovation et de recherche, persuadées qu’un résultat identique pourrait être atteint à moindre coût » (http://obsfr.ru/fileadmin/Images__logos/SFAF_JL_Truel.pdf).

Par ailleurs, « la volonté d’excellence technologique a, dans un premier temps, conduit à privilégier les projets très innovants, à rentabilité longue. Or, les fonds de capital-risque sollicités pour un co-financement demandent des retours sur investissement relativement rapides. Cette divergence a fortement retardé un certain nombre de projets » (http://obsfr.ru/fileadmin/Images__logos/SFAF_JL_Truel.pdf). De ce fait, même si plus d’un millier d’entreprises sont présentes à Skolkovo, ce centre d’innovation a connu une inflexion par rapport au projet de départ. En effet, depuis 2012 le projet s’est recentré sur les entreprises russes, car les grands groupes internationaux continuent à affirmer leur engagement, mais à un niveau moindre que prévu.

En outre, le programme immobilier et de construction d’infrastructures a pris du retard. En 2015 seulement l’Hypercube, un bâtiment destiné aux entreprises, était en service. Pour compenser cette situation, « l’accent est davantage mis sur les actions d’animation du réseau et de support aux entreprises, notamment les plus petites : formation, networking, recherche de financement, communication, aide au développement international par le biais de nombreuses missions etc. De ce point de vue, le résultat n’est pas négligeable et on peut évaluer à une centaine le nombre de start-ups ayant réellement commencé à avoir une activité opérationnelle. Cependant, les nouveaux enjeux géopolitiques et la dégradation de la situation économique russe vont peser sur Skolkovo. […] Dans ce contexte, on constate le renforcement d’une tendance amorcée dès 2012 : le recentrage vers des projets régionaux. […] La crise que traverse la Russie va sans aucun doute avoir une influence sur l’équilibre entre Skolkovo et les autres centres d’innovation. Un des principaux facteurs conditionnant l’avenir de ces centres sera l’effet d’entraînement sur le reste de l’économie, ce qui, sur le long terme, pourrait favoriser les projets régionaux par rapport à la vision centralisatrice de Skolkovo» (http://obsfr.ru/fileadmin/Images__logos/SFAF_JL_Truel.pdf).

En revanche, il convient de noter que présent au « Startup village » le 3 juin 2014, Dmitri Madvedev a garanti que « malgré la crise économique, le gouvernement continuera à soutenir Skolkovo car c’est une de ses priorités » (http://www.usinenouvelle.com/article/a-skolkovo-le-chantier-de-la-silicon-valley-russe-avance-a-pas-de-tortue.N266753). En effet, si l’investissement public massif dans Skolkovo programmé pour la période 2010-2015 était de 123 milliards de roubles (un peu moins de 2.6 milliards d’euros), en août 2013, Vladimir Poutine a promis 132 milliards de roubles supplémentaires, qui seront distribués d’ici 2020. Le gouvernement investit donc beaucoup dans le développement du projet Skolkovo et c’est la raison pour laquelle, le Kremlin surveille étroitement sur l’utilisation de ce montant pour éviter la corruption. Ainsi, en octobre 2013 le Parquet général de Russie a annoncé dans un communiqué de presse que « près de 2.1 milliards de roubles (48 million d’euros) affectés aux activités de recherche ont été placés dans des banques dans le but de faire du profit » (https://fr.sputniknews.com/politique/20131030199676402/). En effet, « l’administration de Skolkovo se trouve dans le viseur de la justice depuis février 2013, lorsque le Comité d’enquête russe a constaté d’importantes irrégularités dans la gestion des fonds attribués au centre. En mai 2013, le Comité a annoncé que le vice-président de la fondation Alexeï Beltioukov avait illégalement versé au député de la Douma Ilia Ponomarev, proche de l’opposition non-parlementaire, 750 000 dollars puisés dans les fonds propres de la fondation » (https://fr.sputniknews.com/politique/20131030199676402/). Ce dernier nie les faits, il a cependant quitté la Russie pour les Etats-Unis.

Par conséquent, la création du centre d’innovation de Skolkovo est, indubitablement, très importante pour la Russie, qui doit chercher des solutions adaptées à ses propres réalités. Le projet Skolkovo n’a pas d’alternative et la Russie en a vraiment besoin si elle veut utiliser au maximum ses talents et devenir un pays évolué.